Massimo Furlan

Image, l’image est le langage premier de Massimo Furlan, sa force, son monde. En effet, il vit entouré d’images issues de la peinture, du cinéma, de la photographie, des arts vivants: images vues, mais aussi vécues, collectées, rêvées. A partir de ce flux d’images, le metteur en scène en projette de nouvelles, les construit, les réalise, les incarne, les démonte. Son travail scénique est donc un travail extrêmement visuel, et il frappe de par sa composition, sa densité, l’équilibre des mouvements, le rythme des présences vives. Le travail est aussi très profondément lié à la musique, puisque celle-ci est un moteur, un déclencheur, qu’elle est partout, aussi bien dans la vie que sur scène, et qu’elle permet aux images de naître et de s’accomplir. C’est donc un travail qui se perçoit par les sens, et qui s’inscrit profondément dans la mémoire du spectateur, comme une suite d’images rêvées.

Durée, la durée des images est une donnée essentielle du travail. Les premières pièces scéniques avaient pour sous-titres « image(s) longue(s) », à la fois comme l’invention d’un genre autre (ni théâtre, ni danse, ni même performance), et comme une revendication, un programme. L’image, en elle-même, n’a pas de limite de temps. Si on regarde une peinture par exemple, elle échappe totalement à la temporalité. On peut s’y arrêter et la contempler quelques secondes, quelques heures, ou même toute une vie. Aujourd’hui nous sommes habitués à considérer l’image presqu’exclusivement dans son mouvement, sa rapidité de changement. Pourtant, une image demande du temps pour être comprise et pour être interprétée. Les images proposées dans les spectacles sont donc des images simples, dans le sens où il n’y a pas de parole ou de variations visuelles spectaculaires. Avec des actions très simples (un geste, un mouvement, un regard) qui restent longtemps devant le spectateur. Elles sont suspendues, elles jouent sur la fatigue du spectateur, sur une forme d’ennui aussi, qui contrarie d’abord, annule l’idée de divertissement mais crée un espace de réflexion ou de rêverie.

Enfance, c’est le lieu où tout commence, où tout est possible et sans limite. Parce que, comme dit Gilles Deleuze, il ne s’agit pas de rêver nostalgiquement à un moment perdu, et tenter de manière infantile de redevenir un enfant, mais de tendre de manière extrêmement exigeante à un «devenir-enfant» qui soit créateur de possibles, de sincérité, de grandeur, et d’intensité. Que ce soit dans les élans, les joies, les rires, les jeux, les peurs.

Mémoire, Massimo Furlan base son travail sur le principe de la mémoire. Il se saisit de souvenirs, plus ou moins effacés, lointains, qui provoquent la naissance d’images. La mémoire est donc une source, une sorte de machine à faire surgir des instants oubliés, une mécanique qui construit de l’identité, qu’elle soit individuelle ou collective. Elle permet de dire le singulier, tout en créant une communauté. Elle fait resurgir le passé, une époque, des images, des êtres, des idées. Elle permet aussi de les inventer, de jouer sur le flou, l’oubli, et de fabriquer des faux.

Jeu, le jeu comme état d’esprit. Le jeu implique le plaisir, quelque chose de festif. Le jeu signifie aussi le fait qu’il y a des règles: une organisation, une construction. Il s’agit d’inventer un dispositif, de donner forme à une pensée, de mettre des choses ensemble, d’organiser un récit, d’agencer des scènes, des images, des moments, de les associer et donc de les lier, de raconter quelque chose, de manière un peu souterraine. Le jeu ne concerne pas uniquement les acteurs, mais il inclut le spectateur comme l’un des joueurs. Le spectateur joue à construire une interprétation de ce qu’il perçoit, il est actif, il projette, se souvient, tisse des liens, réinvente le récit.

Equipe, La partie se joue à plusieurs; elle est issue d’un collectif, parce que la création est partagée; Numero23Prod c’est une compagnie composée d’amis, de danseurs, d’acteurs, d’un musicien, d’un ingénieur du son et d’un éclairagiste, d’une dramaturge, d’une chargée de diffusion et d’une administratrice qui travaillent ensemble depuis le début, de manière complice et complémentaire, et auxquels se joignent de nouveaux interprètes, régulièrement.

La démarche

Le fil conducteur des différents projets de Massimo Furlan est la biographie. Une histoire simple et banale, celle d’un enfant de parents italiens, né en Suisse, celle d’un adolescent comme un autre. Il n’y a aucune volonté de parler de soi pour soi, comme quelque chose de particulier. Les souvenirs évoqués sont ceux de tous, ceux d’une génération tout au moins, née dans le milieu des années 60. Le travail est centré sur la question de la mémoire. Les projets naissent d’une image-souvenir : la photographie d’un chanteur qui se trouvait dans la chambre de la sœur (“Je rêve/je tombe” et “Live me/Love me”) ; les moments pendant lesquels, enfant, il jouait au football seul dans sa chambre en écoutant les matchs à la radio (“Furlan/ Numero 23” et “Numéro 10”) ; ou bien quand, avant d’aller au lit, il était en pyjama avec un foulard autour du cou et qu’il s’imaginait être un Super héros (“(love story) Superman”) ; ou encore, lorsque adolescent il tombait amoureux d’une fille et ne savait que lui dire (“Gran Canyon Solitude”, “Les filles et les garçons”). Tout part toujours d’une anecdote, petite histoire vraie, constituée d’éléments simples. De l’anecdote, on passe au récit, à la construction de la fiction.

Ne se posant pas la question des limites entre les genres, ses performances sont constituées « d’images longues ». Ce sont des images quasiment immobiles. Avec des actions très simples (un geste, un mouvement, un regard) qui restent longtemps devant le spectateur et l’oblige à entrer, à s’activer, et à mettre du sens : à construire son propre récit.

Au fil de ses travaux, Massimo Furlan questionne l’acte de la représentation : il revisite les icônes, aborde la question de l’échec et de l’écart entre le modèle et le vivant, produisant par là un effet burlesque et poétique. Il réunit autour de ses projets des interprètes aux trajectoires diverses, allant des professionnels de la scène aux amis les plus proches.

La construction des images

Tout projet commence par un cycle de visions : images oniriques, fantasmagoriques, énigmatiques. Ces images se présentent en vrac, certaines liées à la mémoire intime, d’autres attachées au présent, rebondissant sur l’histoire contemporaine. Peu à peu des liens de sens et des liens formels se tissent entre ces images ; le chevauchement de deux images en induit une troisième. Vient ensuite une phase plus concrète liée à la dramaturgie : c’est le travail de l’identification d’un sens et la mise en évidence de celui-ci. Une narration sous-jacente se construit. Le projet est alors présenté aux collaborateurs. La deuxième phase est la réunion de toute l’équipe sur le plateau ou dans l’espace à investir. La construction proprement dite (lumière, son, interprétation, costume, vidéo, etc.) commence. Les images prennent à ce moment leur propre durée, leur rythme, leur équilibre.

Le choix des lieux
Chaque projet propose une réflexion sur le lieu et instaure un espace propre. Le lieu dépend de l’histoire, de l’anecdote et de la vision générée par cette dernière.
Pour le projet “Furlan/ Numero 23”, le lieu c’était le stade : « Lorsque j’étais enfant, je rêvais d’être un grand champion de foot et de gagner le championnat, ou mieux encore la coupe du monde. Tout cela je le rêvais, enfermé dans ma chambre, en écoutant les matchs en direct à la radio. Je mimais toutes les actions décrites par les commentateurs avec une petite balle ». Pour parler de cela, l’envie est née d’utiliser un vrai stade, avec un vrai commentateur, et une vraie retransmission en direct, et bien sûr, un vrai match dans son intégralité. Les spectateurs ont été invités dans un stade pour voir un match avec un seul joueur.
Pour le projet “(love story) Superman” c’était une scène de théâtre : les images et les sons devaient naître de l’obscurité, les personnages devaient être isolés, perdus dans les ténèbres. La technique théâtrale permet cela. Pour parler du souvenir des parents amenant les enfants le dimanche après-midi à l’aéroport pour voir décoller les avions (“International Airport”), la meilleure chose était d’amener les spectateurs dans l’aéroport pour expérimenter ces émotions : la beauté du lieu, et la mélancolie de rester là, pour ensuite retourner à la maison. Etre dans le lieu même facilite, dans un certain sens le voyage mental. C’est un niveau de récit supplémentaire.

Le temps de l’image
Le concept de temps est fondamental dans le travail scénique. La durée des images s’est rapidement imposée comme une donnée essentielle : la plupart des travaux ont pour sous-titre « image(s) longue(s) ». Les images longues partent d’un fait paradoxal qui est qu’une image en soi n’a pas de durée établie. Elle n’a pas de limite de temps. Nous sommes aujourd’hui habitués à regarder beaucoup d’images et à nous en fatiguer assez rapidement et par conséquent à en désirer d’autres, influencés en cela par la télévision, la publicité, le cinéma. Il faut de la rapidité. Pourtant, une image demande du temps pour être comprise et pour être interprétée. Les images proposées dans les spectacles sont des images simples, dans le sens où il n’y a pas de parole ou de variations visuelles spectaculaires. Ce sont des images quasiment immobiles. Avec des actions très simples (un geste, un mouvement, un regard) qui restent longtemps devant le spectateur et l’oblige à entrer, à s’activer, et à mettre du sens : à construire son propre récit.
“Furlan/ Numero 23” est en soi une seule image. Elle dure 90 minutes, la durée d’un match de football en entier. Le projet reprend un match que tout le monde connaît – Italie/Allemagne, Finale de la Coupe du Monde 1982, mais joué par un seul protagoniste – Furlan. C’est une image unique parce qu’on connaît déjà toute l’histoire. C’est comme une forme que l’on voit immédiatement dans son entier. Ensuite on la regarde mieux, on la visite, on en fait le tour. Pour cela il faut du temps. Dans le travail “Girls Change Places”, les spectateurs montent dans un train, la nuit. Le train les emmène dans de petites gares où ils voient des figures, des personnages, en attente, fatigués, perdus. Le travail trouve son origine dans la vision du concours Eurovision de la chanson de 1973 auquel participait Patrick Juvet. Le voyage en train se construit autour de dix arrêts, dix stations, dix formes, dix images. Dix moments où le public observe pendant plusieurs minutes des situations avec des personnages immobiles, ou presque. La superposition de ces dix images énigmatiques donne une image longue. La superposition est possible parce que les dix situations sont proposées avec une durée assez longue. L’image longue, l’expérience totale de la durée, permet alors au spectateur de commencer son propre récit.

La place du spectateur
Dans certains cas, le spectateur doit être actif pour que la performance existe (“Live me/Love me” ou “Me & Myself” par exemple) et dans d’autres il doit simplement s’asseoir et regarder. Dans d’autres encore, il arrive par hasard (“Superman Cosmic Green” ou “Old Heroes”). Tout dépend de l’objet en soi, des thèmes qu’on utilise. Faire chanter le spectateur, lui faire prendre l’autobus, le train ou simplement le faire s’asseoir sur un fauteuil dans un théâtre dépend en grande partie de l’anecdote et de la meilleure manière de la transformer en récit. Le stade semble le lieu le plus logique pour parler du rêve d’être un grand champion. L’aéroport est évident pour parler de l’idée du vol, du départ.
En localisant le spectateur dans des positions spécifiques qui réveillent en lui des souvenirs, il y a un effet de multiplication, de partage d’un souvenir commun, de quelque chose de collectif et de personnel en même temps.
Les images construites laissent beaucoup de place au spectateur, à son imaginaire. Dans “Furlan/Numero 23”, le public de l’art contemporain et du théâtre, considéré comme très réservé, s’est mis à jouer les supporters avec beaucoup d’engagement et de chaleur pendant 90 minutes. Le public de la performance avait appris le rôle du public footballistique. N’importe qui a un souvenir ou une expérience qui le relie à l’enfance et au monde du football. Sans doute la vision de cette tentative solitaire d’entrer dans l’histoire, de cette manière si pathétique et comique et en même temps si spectaculaire et simple, a fait que chacun a trouvé une voie pour lui-même, en rapport à sa propre histoire personnelle. D’une certaine manière c’est la même réaction qu’ont les spectateurs quand ils assistent à “(love story) Superman” : la question du déguisement et de l’enfance en rapport à la question du temps et du vieillissement. Tous sont concernés.

La Compagnie Numero23Prod a été créée en 2003 par Massimo Furlan. Elle travaille régulièrement avec Anne Delahaye, Diane Decker, Sun-Hye Hur, Claire de Ribaupierre, Simone Toendury, Claudine Geneletti, Stéphane Vecchione, Thomas Hempler, Philippe de Rham et Antoine Friderici. Avec la collaboration, au fil des projets de :

Marc Augé, performer
Séverine Besson, costumière
Marc-Etienne Besson, préparation physique et perforer
Céline Bottarelli, performer
Emilie Charriot, performer
Ruth-Elizabeth Childs, performer
Young-Soon Cho Jaquet, performer
Anne Delahaye, performer
Diane Decker, performer
Louis Decker, performer
Cécile Delanoë, costumière
Daniel Demont, performer
Thierry Desplands, performer
Philippe De Rham, ingénieur du son et performer
Claire de Ribaupierre, dramaturge et performer
Karine Dubois, costumières
Géraldine Dupla, performer
Julie Evard, performer
Christophe Fiat, performer
Antoine Friderici, concepteur lumière et directeur technique
Nicolas Frey, performer
Léna Furlan, performer
Lisa Furlan, performer
Massimo Furlan, metteur en scène et performer
Roméo Furlan, performer
Laurent Gachoud, performer, assistant à la mise en scène
Bastien Gallet, performer
Laura Gamboni, administratrice
Claudine Geneletti, administratrice
Bastien Genoux, vidéaste
Sophie Guyot, performer
Thomas Hempler, performer et technicien
Sun-Hye Hur, performer
Shin Iglesisas, performer
Muriel Imbach, performer
Hervé Jabveneau, accessoiriste, constructeur de décors, performer
François Karlen, performer
Nicolas Leresche, perfomer
Serge Margel, performer
Olivier Mausli, chargé de la médiation
Julie Monot, maquilleuse
Pierre Nydegger et Laure Cellier, photographes
Marie-Jeanne Otth, performer
Marie-Madeleine Pasquier, performer
Serge Perret, constructeur de décors et performer
Madeleine Piguet-Raylof, performer
Jérôme Pique, tour manager
Gianfranco Poddhige, performer
Patrick, Yael, Elehn Rion, accessoiriste et performer
Pauline Schneider, performer, assistante à la mise en scène
Thierry Stalder, vidéaste et performer
Simone Toendury, tour manager (Tutu production)
Stéphane Vecchione, créateur musique et performer
Alain Weber, performer